dimanche 5 février 2012

Pas de porno au boulot !

La connexion à des sites pornographiques : une faute grave justifiant un licenciement

Cass. soc., 23 novembre 2011, pourvoi n°10-30.833, NOTE.
Après avoir considéré que le fait de détenir dans un logement de fonction des images pédopornographiques imprimées avec du matériel professionnel constitue un manquement à une obligation contractuelle justifiant un licenciement, la Cour de cassation consolide, quelques jours plus tard, sa position concernant la connexion par un salarié à des sites pornographiques pendant ses heures de travail… : il s'agit d'une faute grave!

Les faits. Durant 15 jours, un salarié a passé le plus clair de son temps de travail à se connecter à des sites à caractère pornographique et zoophile. Il a également mis en ligne son numéro de téléphone mobile professionnel. Il est licencié pour faute grave. Il saisit la juridiction prud’homale d’une demande en paiement de diverses indemnités au titre de la rupture de son contrat de travail. La cour d’appel rejette ses demandes. Le salarié forme un pourvoi devant la chambre sociale de la Cour de cassation. 

La fréquentation de certains sites pendant son temps de travail permet-elle de prononcer un licenciement pour faute ? A cette question, la Cour de cassation répond par l’affirmative, du moins lorsqu’il s’agit de sites à caractère pornographique. Le salarié tente d’atténuer sa faute en invoquant son ancienneté et l’exécution sans reproche de son contrat de travail pendant onze ans. La juridiction suprême se retranche derrière le pouvoir d’appréciation souverain des juges du fond et rejette dès lors cette tentative du salarié de voir diminuer sa faute : la cour d’appel, qui a relevé que la faute du salarié consiste à avoir fait « courir un risque tangible à la société, (…)  a pu retenir que de tels agissements rendaient impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ». Les onze années de travail sans faille restent sans influence !

Une solution constante. Il faut préciser que les dernières décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation retiennent toutes la faute grave pour des faits similaires[1]. Du restent depuis février 2010, la juridiction considère que les connexions établies par un salarié sur des sites Internet pendant son temps de travail, grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail, sont présumées avoir un caractère professionnel et non personnel (Cass. soc., 9 févr. 2010, pourvoi n°08-45.253 : l’inscription d’un site sur la liste des « favoris » de l’ordinateur ne lui confère aucun caractère personnel).


Pas de "porno au boulot", sous peine de perdre son emploi...


[1] Cf. Cass. soc., 9 févr. 2010, pourvoi n°08-45.253 ; Cass. soc., 15 déc. 2010, pourvoi n°09-42.691 ; Cass. soc., 21 sept. 2011, pourvoi n°10-14.869. 

lundi 16 janvier 2012

Détenir dans un logement de fonction des images pédopornographiques imprimées avec du matériel professionnel constitue un manquement à une obligation contractuelle justifiant un licenciement

Cass. Soc. 8 novembre 2011, pourvoi n°10-23593, NOTE 

Les faits. Un salarié, chargé de mission dans un centre de jeunesse, est licencié pour faute grave après avoir été placé en garde à vue pour détention d'images pédopornographiques (929 photographies de mineurs à caractère pornographique imprimées avec le matériel de bureau et conservées dans son logement de fonction)[1].

Le principe : la protection de la vie privée du salarié. La frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle du salarié occasionne un considérable contentieux. Le principe, selon lequel un motif tiré de la vie privée du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire semble désormais établi. Pour la Cour de cassation l’employeur ne peut s'immiscer dans la vie personnelle du salarié[2].

L’exception : le fait tiré de la vie personnelle qui constitue un manquement à une obligation contractuelle. Par exception, si un fait personnel constitue un manquement à une obligation découlant du contrat de travail, il peut constituer une faute disciplinaire. Cette solution, récente[3], réinvestit l’employeur d’un certain pouvoir disciplinaire lorsque la vie privée du salarié entre dans l’entreprise.

Une illustration de l’exception. Cet arrêt du 8 novembre 2011 se présente comme une illustration de cette exception. Pour la Cour de cassation, commet une violation d’une obligation contractuelle justifiant un licenciement disciplinaire le salarié, en contact permanent avec des mineurs, qui imprime avec le matériel du bureau des images pédopornographiques et qui les conserve dans son logement de fonction. Dans ces conditions particulières (l’impression des images litigieuses via un matériel professionnel mis à disposition du salarié et la détention desdites images dans un local appartenant à l’employeur), les faits qui motivent le licenciement ne relèvent plus exclusivement de la vie personnelle du salarié. Celui-ci mêle vie personnelle et vie professionnelle. En l'espèce, ce comportement constitue, selon la Cour de cassation, une violation à l’une de ses obligations contractuelles.

Apports réflexifs. Cette décision se distingue essentiellement par le laconisme apparent du juge qui ne précise pas quelle obligation contractuelle le salarié a manqué.  Nous ne pouvons ainsi que la supposer : serait-ce la violation d’une obligation générale de probité ou de moralité ? Il paraît très surprenant, voire critiquable, que la Cour de cassation n’exige pas la caractérisation expresse d’un manquement à une obligation contractuelle précise. Si la vie privée du salarié ne doit pas perturber l’exécution du contrat de travail, le juge se doit de rechercher un manquement à une obligation contractuelle explicite au risque d'accorder à l’employeur un (trop) large pouvoir disciplinaire en la matière. 


En l'espèce, ne serait-ce pas en raison du caractère pédopornographique des images détenues par le salarié que la Cour de cassation n'a pas sanctionné le manque de rigueur des juges du fond ? Plus de précision semble toutefois indispensable pour éviter tout "abus", même dans pareille situation.

Il faut noter, qu’en l’espèce, il n'est pas fait mention d’une condamnation du salarié pour détention d’images pédopornographiques. La seule violation d'une obligation contractuelle justifie le licenciement sans qu’il y ait besoin d’attendre une condamnation pénale.
Rappelons que le juge pénal peut, depuis la loi n°98-468 du 17 juin 1998, décider, à titre de peine complémentaire, de condamner l’auteur d’une détention d’images de pédopornographiques à une « interdiction, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs » (C. pén., art. 227-29 6°).


[1] L’article 227-23 du Code pénal dispose que « le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou représentation présente un caractère pornographique est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».
[2] V° en dernier lieu : Cass. Soc., 23 juin 2009, pourvoi n°07-45.256.
[3] V° Cass. Soc., 23 juin 2009, pourvoi n°07-45.256. 

jeudi 12 janvier 2012

Sex-toys sur le marché de Noël nancéen : la suite

Rappel. Le 23 novembre 2011, le village de Noël de Nancy a ouvert ses portes et a accueilli un artisan, Sébastien François, spécialisé dans la vente d’objets érotiques (Cf. article précédent). Suite aux réprobations de passants « choqués » par la vue de certains produits, le président de l’association « Les vitrines de Nancy », organisatrice du marché nancéen, a enjoint au commerçant de quitter son emplacement. Pour justifier la fermeture du chalet, l’association invoquait, selon l’intéressé, un arrêté municipal émis par la mairie de Nancy.

La plainte. Nous attendions cet arrêté municipal avec autant d’impatience que le sieur François. Mais il semble, soit qu’il n’ait jamais vu le jour, soit qu’il soit introuvable. L’association ferait désormais valoir un article du règlement intérieur des vitrines de Nancy selon lequel les produits vendus ne doivent pas revêtir de connotation violente, pornographique ou érotique. Le commerçant aurait alors décidé le 12 décembre 2011 de porter plainte pour faux et usage de faux et pour escroquerie. Selon lui, le règlement intérieur aurait fait l’objet d’une falsification et ne serait pas celui qu’il a signé.

Certains médias suggèrent également une action au civil en vue d’obtenir une réparation pour la perte d’exploitation ; l’artisan réclamerait 20 000 euros.

Apports réflexifs. Au nom de la présomption d'innocence, envisageons ces faits comme un simple cas d'école : si le règlement intérieur de l'association a réellement fait l'objet d'une modification sans indiquer une nouvelle date postérieure à la signature du commerçant, les infractions susmentionnées sont-elles constituées ?
Le législateur, à l'article 441-1 du Code pénal, définit le faux comme « toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ». Le faux ou l'usage de faux est puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Il semblerait que les éléments constitutifs de l'infraction seraient alors réunis : il s'agirait d'un écrit (un règlement), qui a pour effet de fonder une demande ou de prouver une prétention (la possibilité ou non pour le commerçant de s'installer sur le marché de Noël) et dont l'altération intentionnelle serait préjudiciable. 
Le délit d'escroquerie serait, lui, plus difficile à établir. Selon l'article 313-1 du Code pénal, « l'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ». L'acte d'escroquerie (y a t-il manoeuvres frauduleuses alors qu'un simple mensonge, en principe, ne peut suffire ?) et le résultat d'escroquerie (le consentement à un acte opérant décharge, c'est-à-dire une renonciation à s'installer sur le marché ?) sembleraient très incertain. 

La controverse. Les nombreuses et vives réactions des internautes face aux articles et notes sur l’événement attestent du caractère éminemment sensible de la sexualité en général et de la pornographie et de l’érotisme en particulier. Cet article n’a toutefois pas pour objectif de pronostiquer l’issue du contentieux, ni même de désigner qui « a raison ». Il s’agit avant tout de s’interroger sur la place de l’érotisme et de la pornographie dans notre Droit français et dans notre société. De notre premier article sur ces sex-toys « trouble fête », un lecteur a déduit que l’auteur des lignes devait être « obsédée »[1]. Rappeler l’état du Droit et discuter du champ d’application des interdits ne signifie pourtant pas se positionner comme pro ou anti pornographie. Le regard porté par un juriste sur la pornographie ne doit être empreint ni de répugnance systématique ni d’apologie exagérée et l'auteur de ce blog s'efforce de toujours tendre vers une juste et scientifique neutralité.


[1] Voir un commentaire anonyme en date du 17 décembre 2011 : « En tous cas des cadeaux de Noël qui en disent long sur l'état mental de la société française, qui, entre autres, se complaît à baigner dans l'érotisme, la nudité, la jouissance, la luxure ("recherche déréglée de plaisirs sexuels") sans se rendre compte qu'elle se déshumanise pour s'animaliser. Est-ce une telle société que nous souhaitons ? Que des thèses soient soutenues sur la pornographie en dit aussi long sur cet état mental et sur l'obsession contagieuse de certains ».

mercredi 4 janvier 2012

Prix Pierre Simon 2011 - Les Lauréats

Les prix Pierre Simon ont été décernés le 13 décembre 2011.  

Le prix "Ethique et Réflexion". L'oeuvre La Pudeur et le Soin sous la direction de Bruno PY, publiée aux Presses Universitaires en avril 2011, n'a finalement pas remporté le prix "Ethique et Réflexion". Elle s'est vu détrônée par deux ouvrages : 
- La reine Alice-Seuil de Lydia FLEM.
Qui écrira notre histoire ? les archives secrètes du ghetto de Varsovie-Grasset de M.Samuel KAASPOW.

Les autres prix. Le prix "Ethique et Recherche" a été attribué à Décisions cruciales en réhabilitation néonatale-Université de Paris Sud de Laurence CAEYMEX et à Les experts de l'intime et les femmes, médecins et démographes en France de 1945 à 1975-Université de Paris Ouest Nanterre La Défense de Frédérique LIOTARD-SCHNEIDER. 
Le prix "Ethique et Société" a été remis à Blandine PREVOST de l'association Ama Diem pour l'ouverture d'une maison d'accueil pour jeunes malades atteints de la maladie d'Alzheimer. 
Enfin, le "Prix spécial du jury" a été attribué à La Philosophie du porc et autres essais Gallimard de Liu XIAOBO.