lundi 16 janvier 2012

Détenir dans un logement de fonction des images pédopornographiques imprimées avec du matériel professionnel constitue un manquement à une obligation contractuelle justifiant un licenciement

Cass. Soc. 8 novembre 2011, pourvoi n°10-23593, NOTE 

Les faits. Un salarié, chargé de mission dans un centre de jeunesse, est licencié pour faute grave après avoir été placé en garde à vue pour détention d'images pédopornographiques (929 photographies de mineurs à caractère pornographique imprimées avec le matériel de bureau et conservées dans son logement de fonction)[1].

Le principe : la protection de la vie privée du salarié. La frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle du salarié occasionne un considérable contentieux. Le principe, selon lequel un motif tiré de la vie privée du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire semble désormais établi. Pour la Cour de cassation l’employeur ne peut s'immiscer dans la vie personnelle du salarié[2].

L’exception : le fait tiré de la vie personnelle qui constitue un manquement à une obligation contractuelle. Par exception, si un fait personnel constitue un manquement à une obligation découlant du contrat de travail, il peut constituer une faute disciplinaire. Cette solution, récente[3], réinvestit l’employeur d’un certain pouvoir disciplinaire lorsque la vie privée du salarié entre dans l’entreprise.

Une illustration de l’exception. Cet arrêt du 8 novembre 2011 se présente comme une illustration de cette exception. Pour la Cour de cassation, commet une violation d’une obligation contractuelle justifiant un licenciement disciplinaire le salarié, en contact permanent avec des mineurs, qui imprime avec le matériel du bureau des images pédopornographiques et qui les conserve dans son logement de fonction. Dans ces conditions particulières (l’impression des images litigieuses via un matériel professionnel mis à disposition du salarié et la détention desdites images dans un local appartenant à l’employeur), les faits qui motivent le licenciement ne relèvent plus exclusivement de la vie personnelle du salarié. Celui-ci mêle vie personnelle et vie professionnelle. En l'espèce, ce comportement constitue, selon la Cour de cassation, une violation à l’une de ses obligations contractuelles.

Apports réflexifs. Cette décision se distingue essentiellement par le laconisme apparent du juge qui ne précise pas quelle obligation contractuelle le salarié a manqué.  Nous ne pouvons ainsi que la supposer : serait-ce la violation d’une obligation générale de probité ou de moralité ? Il paraît très surprenant, voire critiquable, que la Cour de cassation n’exige pas la caractérisation expresse d’un manquement à une obligation contractuelle précise. Si la vie privée du salarié ne doit pas perturber l’exécution du contrat de travail, le juge se doit de rechercher un manquement à une obligation contractuelle explicite au risque d'accorder à l’employeur un (trop) large pouvoir disciplinaire en la matière. 


En l'espèce, ne serait-ce pas en raison du caractère pédopornographique des images détenues par le salarié que la Cour de cassation n'a pas sanctionné le manque de rigueur des juges du fond ? Plus de précision semble toutefois indispensable pour éviter tout "abus", même dans pareille situation.

Il faut noter, qu’en l’espèce, il n'est pas fait mention d’une condamnation du salarié pour détention d’images pédopornographiques. La seule violation d'une obligation contractuelle justifie le licenciement sans qu’il y ait besoin d’attendre une condamnation pénale.
Rappelons que le juge pénal peut, depuis la loi n°98-468 du 17 juin 1998, décider, à titre de peine complémentaire, de condamner l’auteur d’une détention d’images de pédopornographiques à une « interdiction, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs » (C. pén., art. 227-29 6°).


[1] L’article 227-23 du Code pénal dispose que « le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou représentation présente un caractère pornographique est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».
[2] V° en dernier lieu : Cass. Soc., 23 juin 2009, pourvoi n°07-45.256.
[3] V° Cass. Soc., 23 juin 2009, pourvoi n°07-45.256. 

jeudi 12 janvier 2012

Sex-toys sur le marché de Noël nancéen : la suite

Rappel. Le 23 novembre 2011, le village de Noël de Nancy a ouvert ses portes et a accueilli un artisan, Sébastien François, spécialisé dans la vente d’objets érotiques (Cf. article précédent). Suite aux réprobations de passants « choqués » par la vue de certains produits, le président de l’association « Les vitrines de Nancy », organisatrice du marché nancéen, a enjoint au commerçant de quitter son emplacement. Pour justifier la fermeture du chalet, l’association invoquait, selon l’intéressé, un arrêté municipal émis par la mairie de Nancy.

La plainte. Nous attendions cet arrêté municipal avec autant d’impatience que le sieur François. Mais il semble, soit qu’il n’ait jamais vu le jour, soit qu’il soit introuvable. L’association ferait désormais valoir un article du règlement intérieur des vitrines de Nancy selon lequel les produits vendus ne doivent pas revêtir de connotation violente, pornographique ou érotique. Le commerçant aurait alors décidé le 12 décembre 2011 de porter plainte pour faux et usage de faux et pour escroquerie. Selon lui, le règlement intérieur aurait fait l’objet d’une falsification et ne serait pas celui qu’il a signé.

Certains médias suggèrent également une action au civil en vue d’obtenir une réparation pour la perte d’exploitation ; l’artisan réclamerait 20 000 euros.

Apports réflexifs. Au nom de la présomption d'innocence, envisageons ces faits comme un simple cas d'école : si le règlement intérieur de l'association a réellement fait l'objet d'une modification sans indiquer une nouvelle date postérieure à la signature du commerçant, les infractions susmentionnées sont-elles constituées ?
Le législateur, à l'article 441-1 du Code pénal, définit le faux comme « toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ». Le faux ou l'usage de faux est puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Il semblerait que les éléments constitutifs de l'infraction seraient alors réunis : il s'agirait d'un écrit (un règlement), qui a pour effet de fonder une demande ou de prouver une prétention (la possibilité ou non pour le commerçant de s'installer sur le marché de Noël) et dont l'altération intentionnelle serait préjudiciable. 
Le délit d'escroquerie serait, lui, plus difficile à établir. Selon l'article 313-1 du Code pénal, « l'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ». L'acte d'escroquerie (y a t-il manoeuvres frauduleuses alors qu'un simple mensonge, en principe, ne peut suffire ?) et le résultat d'escroquerie (le consentement à un acte opérant décharge, c'est-à-dire une renonciation à s'installer sur le marché ?) sembleraient très incertain. 

La controverse. Les nombreuses et vives réactions des internautes face aux articles et notes sur l’événement attestent du caractère éminemment sensible de la sexualité en général et de la pornographie et de l’érotisme en particulier. Cet article n’a toutefois pas pour objectif de pronostiquer l’issue du contentieux, ni même de désigner qui « a raison ». Il s’agit avant tout de s’interroger sur la place de l’érotisme et de la pornographie dans notre Droit français et dans notre société. De notre premier article sur ces sex-toys « trouble fête », un lecteur a déduit que l’auteur des lignes devait être « obsédée »[1]. Rappeler l’état du Droit et discuter du champ d’application des interdits ne signifie pourtant pas se positionner comme pro ou anti pornographie. Le regard porté par un juriste sur la pornographie ne doit être empreint ni de répugnance systématique ni d’apologie exagérée et l'auteur de ce blog s'efforce de toujours tendre vers une juste et scientifique neutralité.


[1] Voir un commentaire anonyme en date du 17 décembre 2011 : « En tous cas des cadeaux de Noël qui en disent long sur l'état mental de la société française, qui, entre autres, se complaît à baigner dans l'érotisme, la nudité, la jouissance, la luxure ("recherche déréglée de plaisirs sexuels") sans se rendre compte qu'elle se déshumanise pour s'animaliser. Est-ce une telle société que nous souhaitons ? Que des thèses soient soutenues sur la pornographie en dit aussi long sur cet état mental et sur l'obsession contagieuse de certains ».

mercredi 4 janvier 2012

Prix Pierre Simon 2011 - Les Lauréats

Les prix Pierre Simon ont été décernés le 13 décembre 2011.  

Le prix "Ethique et Réflexion". L'oeuvre La Pudeur et le Soin sous la direction de Bruno PY, publiée aux Presses Universitaires en avril 2011, n'a finalement pas remporté le prix "Ethique et Réflexion". Elle s'est vu détrônée par deux ouvrages : 
- La reine Alice-Seuil de Lydia FLEM.
Qui écrira notre histoire ? les archives secrètes du ghetto de Varsovie-Grasset de M.Samuel KAASPOW.

Les autres prix. Le prix "Ethique et Recherche" a été attribué à Décisions cruciales en réhabilitation néonatale-Université de Paris Sud de Laurence CAEYMEX et à Les experts de l'intime et les femmes, médecins et démographes en France de 1945 à 1975-Université de Paris Ouest Nanterre La Défense de Frédérique LIOTARD-SCHNEIDER. 
Le prix "Ethique et Société" a été remis à Blandine PREVOST de l'association Ama Diem pour l'ouverture d'une maison d'accueil pour jeunes malades atteints de la maladie d'Alzheimer. 
Enfin, le "Prix spécial du jury" a été attribué à La Philosophie du porc et autres essais Gallimard de Liu XIAOBO. 

mardi 29 novembre 2011

Vers une charte contre la sexualisation infantine ?

Des manifestations étrangères. Au début du mois de novembre, plusieurs photographies publicitaires mettant en scène des mineurs ont occasionné de vives réactions contestataires, voire ont fait l'objet de censure. Il en est ainsi de la publicité pour le parfum OH Lola! de Marc Jacob, qui met en scène Dakota Fanning, âgée de 17 ans lors de la prise de la photographie. L'image représente la jeune fille assise, vêtue d'une robe à dentelle, tenant entre ses cuisses un modèle oversize du flacon de parfum. L'autorité des normes publicitaires anglaises (Advertising Standars Authority), équivalent du Conseil supérieur de l'Audiovisuel français, a exigé le retrait de la publicité, qu'il estime "irresponsable et sexualisante", principalement en raison de la "position suggestive" de la mineure. Une telle décision paraît critiquable en raison de sa subjectivité évidente : qu'est-ce qu'une pose suggestive? La jeune fille n'est même pas dénudée et ne simule a priori aucun acte sexuel!
Notons que cette photographie ne viole pas la loi française.

En France : vers une charte contre l'hypersexualisation des mineurs. La France semblait préservée  de cette pudibonderie. Jusqu'à ce jour du moins. Hier, Roselyne Bachelot-Narquin a installé "un groupe de travail sur l’élaboration d’une charte relative à la protection des enfants dans les médias intégrant un focus sur l’hypersexualisation", selon un communiqué du ministère des Solidarité et de la Cohésion sociale en date du 28 novembre 2011. La présidence de ce groupe est confiée à Jacques Hintzy, président d’Unicef France. Cette charte, prévue pour mi-janvier, doit fixer des références éthiques, déontologiques et pédagogiques sur l’utilisation de l’image des mineurs dans les médias et doit établir "des principes visant à ne plus promouvoir dans les médias des reportages, produits ou services qui encouragent l’hypersexualisation des petites filles". Par ailleurs, le ministre des Solidarités et de le Cohésion sociale a également confié  à la sénatrice Chantal Jouanno une étude sur les dispositifs d’observation et de régulation des médias concernant le phénomène de l’hypersexualisation des mineurs. Bien qu'il n'existe aucun lien officiel entre la décision de la ministre et les récentes publicités litigieuses, il semble difficile de croire à une simple coïncidence. En tous les cas, le doute existe.  


Il va sans dire que le contenu et la forme de cette future charte font l'objet de beaucoup d'incertitudes. Une charte se définit comme  "un document définissant solennellement des droits et devoirs" (CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, PUF, coll. « Quadrige », 2è éd., 2011). Si certaines chartes, comme celle de l'environnement, bénéficient aujourd'hui d'une valeur constitutionnelle, toutes n'ont pas vocation à se voir reconnaître la même force juridique. Ainsi, quelle sera la valeur de cette charte contre la sexualisation infantile? Comment définir la notion d'"hypersexualisation"? Comment concilier le contenu de cette charte avec la liberté d'expression en général et la liberté de la presse en particulier ? Comment  concilier une telle charte avec la loi pénale française qui n'interdit que les seules images pornographiques ?


Le contenu de la future charte ne manquera sans doute pas de soulever des réactions. 
Elle fera l'objet d'une étude précise. 

dimanche 27 novembre 2011

Des sex-toys "trouble-fête" sur le marché de Noël de Nancy !

Sur le marché de Noël de Nancy : du vin chaud oui, des objets "hot" non!


23 novembre 20011 : un chalet spécialisé dans les objets érotiques s'installe. Le 23 novembre dernier, le village de Noël a ouvert ses portes à Nancy. Pour la première fois, il a accueilli, aux côtés des confiseries, gâteaux de Noël, parfums, bougies, encens, décorations pour les sapins, santons et autres cadeaux divers, un stand particulier, celui de Sébastien François, créateur artisanal d'objets érotiques. Le commerçant y exposait ses produits commercialisés sous la marque "Cyprine-Art" : des colifichets de courgettes et carottes en céramique, des tee-shirts où s’ébattent des couples de loutres, des tableaux où des voitures s’encastrent gaiement, des statuettes de forme phallique subtilement appelées "Les endimanchés"... 

26 novembre 2011 : pas de sex-toys sur le marché de Noël ! Très vite, l'originalité du chalet a attiré, outre la curiosité des clients, la réprobation de plusieurs passants dits "choqués" par la vue des produits. Bien que l'artisan ait rapidement retiré de la vente les produits les moins "soft", telle la fusée "Ariane 7", la hotte du père Noël semblait toujours trop "hot" aux yeux de certaines personnes. Sous pressions des nombreuses réactions indignées, dont celle de l'adjointe au maire et députée UMP locale, Valérie Rosso-Debord, le président de l'Association Les vitrines de Nancy, organisatrice du marché de Noël nancéien, a enjoint à l'artisan de fermer son chalet. Le commerçant a quitté son emplacement ce samedi 26 novembre 2011. 

Le message des dauphins
Des objets susceptibles de choquer les mineurs ? Comme argument, est principalement invoquée la protection des mineurs, qui pourraient être "choqués" par la vue des objets litigieux. Il convient de rappeler que la loi pénale française n'interdit pas la diffusion de messages érotiques aux mineurs, uniquement ceux pornographiques (Code pénal, article 227-24). Or, le caractère purement érotique des objets de M. François ne semble ni être contesté, ni pouvoir être contestable !
Qui plus est, majeurs et mineurs peuvent ne pas percevoir une image de la même manière. L’illusion d’optique appelée « Le message des dauphins » en constitue un parfait exemple : très souvent, un majeur voit un couple enlacé (les mains d’un homme posées sur les seins d’une femme), alors qu’un mineur ne discerne que des dauphins. L’innocence d'un mineur peut parfois suffire à le protéger d’un message pourtant perçu comme présentant un caractère sexuel pour l’adulte.
En l'espèce, il semblerait que la finesse de l'artisan soit susceptible d'évoquer tout à la fois des pensées sexuelles pour un majeur ET ludiques et inoffensives pour un mineur : la simple reproduction de légumes du jardin, de statuettes qui ressemblent davantage aux célèbres "barbapapas" qu'à des pénis, des représentations d'accidents de voitures ou encore de dessins animés d'animaux en train de jouer... Invoquer la protection des mineurs semble relever davantage de l'hypocrisie que de la réalité : n'est-ce pas plutôt les seuls majeurs qui s'offusquent et ne supportent pas la vue de ces objets ?


Une décision fondée ? Le commerçant, qui s'est vu obligé de quitter son emplacement, attend dorénavant l'arrêté municipal actant de son éviction, aux fins éventuelles de le contester devant les juridictions administratives. En effet, le maire selon l'article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales, assure "le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques". Mais il n'est pas pour autant gardien de la moralité publique! Nous attendons dès lors tout aussi impatiemment que M. François la publication de cet arrêté, curieux de pouvoir y lire l'argument qui pourrait légitimer une telle décision...

Des cadeaux coquins au pied du sapin ? La sexualité et ses images, ou simples évocations, explicites ou implicites, suscitent depuis toujours, dans une même société, à la fois attrait et répulsion.  L'éviction du village de Noël nancéien du stand d'objets érotiques n'en est qu'une nouvelle manifestation. Toutefois, si les cadeaux coquins sont exclus du marché de Noël de Nancy, il semble qu'il en faille plus pour les bannir de dessous les sapins. En témoignent les nombreuses tentatives de magasins spécialisés dans la vente des sex-toys pour "gonfler leurs ventes" pendant la période de Noël : les sex-toys, des cadeaux de Noël comme les autres ? En tous les cas, des cadeaux de Noël licites.