jeudi 12 janvier 2012

Sex-toys sur le marché de Noël nancéen : la suite

Rappel. Le 23 novembre 2011, le village de Noël de Nancy a ouvert ses portes et a accueilli un artisan, Sébastien François, spécialisé dans la vente d’objets érotiques (Cf. article précédent). Suite aux réprobations de passants « choqués » par la vue de certains produits, le président de l’association « Les vitrines de Nancy », organisatrice du marché nancéen, a enjoint au commerçant de quitter son emplacement. Pour justifier la fermeture du chalet, l’association invoquait, selon l’intéressé, un arrêté municipal émis par la mairie de Nancy.

La plainte. Nous attendions cet arrêté municipal avec autant d’impatience que le sieur François. Mais il semble, soit qu’il n’ait jamais vu le jour, soit qu’il soit introuvable. L’association ferait désormais valoir un article du règlement intérieur des vitrines de Nancy selon lequel les produits vendus ne doivent pas revêtir de connotation violente, pornographique ou érotique. Le commerçant aurait alors décidé le 12 décembre 2011 de porter plainte pour faux et usage de faux et pour escroquerie. Selon lui, le règlement intérieur aurait fait l’objet d’une falsification et ne serait pas celui qu’il a signé.

Certains médias suggèrent également une action au civil en vue d’obtenir une réparation pour la perte d’exploitation ; l’artisan réclamerait 20 000 euros.

Apports réflexifs. Au nom de la présomption d'innocence, envisageons ces faits comme un simple cas d'école : si le règlement intérieur de l'association a réellement fait l'objet d'une modification sans indiquer une nouvelle date postérieure à la signature du commerçant, les infractions susmentionnées sont-elles constituées ?
Le législateur, à l'article 441-1 du Code pénal, définit le faux comme « toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ». Le faux ou l'usage de faux est puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Il semblerait que les éléments constitutifs de l'infraction seraient alors réunis : il s'agirait d'un écrit (un règlement), qui a pour effet de fonder une demande ou de prouver une prétention (la possibilité ou non pour le commerçant de s'installer sur le marché de Noël) et dont l'altération intentionnelle serait préjudiciable. 
Le délit d'escroquerie serait, lui, plus difficile à établir. Selon l'article 313-1 du Code pénal, « l'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ». L'acte d'escroquerie (y a t-il manoeuvres frauduleuses alors qu'un simple mensonge, en principe, ne peut suffire ?) et le résultat d'escroquerie (le consentement à un acte opérant décharge, c'est-à-dire une renonciation à s'installer sur le marché ?) sembleraient très incertain. 

La controverse. Les nombreuses et vives réactions des internautes face aux articles et notes sur l’événement attestent du caractère éminemment sensible de la sexualité en général et de la pornographie et de l’érotisme en particulier. Cet article n’a toutefois pas pour objectif de pronostiquer l’issue du contentieux, ni même de désigner qui « a raison ». Il s’agit avant tout de s’interroger sur la place de l’érotisme et de la pornographie dans notre Droit français et dans notre société. De notre premier article sur ces sex-toys « trouble fête », un lecteur a déduit que l’auteur des lignes devait être « obsédée »[1]. Rappeler l’état du Droit et discuter du champ d’application des interdits ne signifie pourtant pas se positionner comme pro ou anti pornographie. Le regard porté par un juriste sur la pornographie ne doit être empreint ni de répugnance systématique ni d’apologie exagérée et l'auteur de ce blog s'efforce de toujours tendre vers une juste et scientifique neutralité.


[1] Voir un commentaire anonyme en date du 17 décembre 2011 : « En tous cas des cadeaux de Noël qui en disent long sur l'état mental de la société française, qui, entre autres, se complaît à baigner dans l'érotisme, la nudité, la jouissance, la luxure ("recherche déréglée de plaisirs sexuels") sans se rendre compte qu'elle se déshumanise pour s'animaliser. Est-ce une telle société que nous souhaitons ? Que des thèses soient soutenues sur la pornographie en dit aussi long sur cet état mental et sur l'obsession contagieuse de certains ».

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